La scène est inédite dans le paysage politique gabonais post-Transition. Alain-Claude Bilie By Nze, dernier Premier ministre du régime déchu d’Ali Bongo Ondimba, a été chassé par les populations d’Oyem et de Mitzic lors de sa pré-campagne intitulée « ACBBN Tour du Gabon ». L’ancien ministre, aujourd’hui à la tête de la plateforme Ensemble pour le Gabon, espérait rallier les habitants du Woleu-Ntem à sa cause. Mais l’accueil réservé par la population n’a laissé place à aucun doute : il n’est pas le bienvenu.
Un rejet massif, symbole d’une rupture
Les images ont rapidement inondé les réseaux sociaux : jeunes, femmes, personnes âgées, tous unis dans une même dynamique de rejet. Des slogans hostiles, des barricades symboliques, des refus catégoriques d’assister aux rassemblements de Bilie By Nze… À Oyem comme à Mitzic, la réponse a été sans appel : « Nous ne voulons plus de ceux qui nous ont trahis. »
Cet épisode met en lumière une transformation profonde du paysage politique gabonais. Longtemps considérée comme une région frondeuse face au pouvoir du Parti Démocratique Gabonais (PDG), la province du Woleu-Ntem avait, par le passé, souvent exprimé son opposition aux Bongo. Pourtant, depuis l’arrivée au pouvoir du Général Brice Clotaire Oligui Nguema, la donne semble avoir changé. Les habitants, séduits par la dynamique de développement impulsée par la Transition, refusent de voir renaître les fantômes du passé.
L’ombre du système Bongo-PDG plane encore
Le rejet de Bilie By Nze dépasse sa seule personne. Il symbolise l’exaspération d’un peuple à l’égard de tout ce que représentait l’ancien régime. Aux yeux de nombreux Gabonais, l’homme reste indissociable du système Bongo-PDG, un système accusé d’avoir plongé le pays dans l’impasse économique et politique.
Les blessures restent vives, notamment dans le Woleu-Ntem, où les populations n’ont pas oublié les épisodes marquants des décennies passées : le sort réservé à André Mba Obame, ancien ministre de l’Intérieur devenu farouche opposant, décédé dans des conditions controversées en 2015, ou encore la disparition de Pierre-Claver Nzeng, autre figure politique originaire de la province. Le ressentiment est profond et le spectre des luttes passées hante encore la mémoire collective.
Un retour de bâton pour les barons du régime déchu
Ironie du sort, Alain-Claude Bilie By Nze est aujourd’hui victime du même sort qu’il a autrefois infligé à d’autres. En 2023, alors qu’il occupait encore des fonctions officielles sous Ali Bongo, plusieurs figures de l’opposition avaient vu leurs déplacements entravés. Raymond Ndong Sima, l’actuel Premier ministre de la Transition, avait été bloqué à plusieurs reprises lors de sa tournée électorale dans l’Ogooué-Ivindo. Barro Chambrier n’avait pu tenir meeting dans le Haut-Ogooué. Albert Ondo Ossa et Bertrand Zibi, eux aussi, avaient subi les foudres des autorités d’alors, leurs rassemblements ayant été empêchés par des dignitaires du régime, parmi lesquels figurait Bilie By Nze.
Aujourd’hui, c’est à lui de faire face à une population qui refuse d’être à nouveau dupée. À Mitzic, les tensions étaient telles que les forces de l’ordre ont dû intervenir pour éviter tout débordement. Certains habitants envisageaient un « lingeage populaire », une forme de justice communautaire destinée à sanctionner celui qui, hier encore, incarnait le pouvoir honni.
Un signal fort pour la classe politique gabonaise
Le rejet de Bilie By Nze en terre fang est plus qu’un simple incident politique : il incarne la défiance croissante des Gabonais envers les anciens dignitaires du régime Bongo. Pour beaucoup, le temps de l’impunité est révolu. Ceux qui ont contribué à maintenir un système perçu comme injuste et corrompu ne peuvent espérer un retour en grâce sans en assumer les conséquences.
Ce vent de rejet pourrait bien être un avertissement pour d’autres figures de l’ancien régime qui ambitionnent de reprendre une place dans l’échiquier politique national. À quelques mois de la présidentielle, la Transition menée par le Général Oligui Nguema semble conforter sa légitimité auprès du peuple, qui voit en elle une chance de rupture définitive avec les errements du passé.
Dans ce contexte, Bilie By Nze et ses alliés devront revoir leur stratégie s’ils espèrent encore avoir une voix dans le Gabon de demain. Mais une chose est sûre : le peuple gabonais, lui, n’oublie rien.
Ibrahim Mayombo