En voulant se prévaloir d’une frontière de facto suivant le cours sinueux de la rivière Kyé tout en récusant officiellement la Convention de Bata de 1974 – texte dont découle pourtant ce tracé – la Guinée équatoriale a ouvert une faille juridique dans laquelle elle s’est elle-même engouffrée. L’arrêt rendu le 19 mai 2025 par la Cour internationale de justice, en validant exclusivement la Convention franco-espagnole de 1900 comme seul fondement juridique du tracé frontalier terrestre, contraint désormais Malabo à reconsidérer plusieurs portions de territoire actuellement sous son contrôle. Un verdict limpide, implacable, qui fait éclater au grand jour les limites d’une diplomatie de dénégation sélective du droit.
Fier d’avoir obtenu la souveraineté sur les îlots contestés de Mbanié, Cocotiers et Conga, le président Teodoro Obiang Nguema Mbasogo n’a pas tardé à saluer la décision de la CIJ comme une victoire nationale. Mais derrière ce satisfecit partiel, une autre lecture s’impose. Car en prétendant que la frontière terrestre suit « le cours de la rivière Kyé actée dans les années 1970 », le dirigeant équato-guinéen semble ignorer, ou feint d’ignorer, que ce tracé puise sa légitimité dans la Convention de Bata — une convention que son propre gouvernement s’est toujours refusé à reconnaître. En s’appuyant implicitement sur un texte qu’il rejette formellement, Malabo a offert à la CIJ le paradoxe juridique parfait : une revendication bâtie sur une base que l’on nie. Une contradiction que la Cour n’a pas manqué de démonter.
La CIJ, fidèle à sa mission, tranche en droit, non en coutume ou en usage local. Dans ses attendus (paragraphes 155 et 156), elle est formelle : seul le traité de 1900, jamais abrogé ni modifié, fait foi. Et ce traité fixe une frontière linéaire suivant le méridien 9° Est de Paris, bien loin des méandres de la rivière Kyé. Selon ce repère, plusieurs zones aujourd’hui administrées par la Guinée équatoriale, y compris une partie d’Ebebeyin, tombent sous souveraineté gabonaise. L’histoire retiendra que dès 1993, les deux parties avaient reconnu cet état de fait, avant que Malabo ne choisisse la ligne du refus juridique tout en adoptant ses effets pratiques. En niant un texte qui aurait pu partiellement servir ses intérêts, la Guinée équatoriale a creusé sa propre brèche.
L’arrêt du 19 mai n’est pas un buffet à volonté. Il ne peut être invoqué pour en extraire les éléments favorables tout en récusant ceux qui dérangent. À vouloir instrumentaliser un droit international à géométrie variable, la Guinée équatoriale se retrouve aujourd’hui contrainte d’en assumer la rigueur. L’ironie est cruelle : ce que Malabo a refusé de reconnaître dans la Convention de Bata pourrait maintenant lui être imposé par le traité de 1900 — dans une version encore moins avantageuse. La morale de cette affaire, s’il en est une, rappelle qu’à force de contorsions diplomatiques, le droit finit toujours par reprendre ses droits.