Un texte‑coup de poing qui refuse l’amnésie collective
L’ancien maire d’Akanda , ayant passé quatre ans de détention préventive sans jugement dans le cadre de l’« Opération Scorpion », a finalement rompu le silence. Dans une lettre ouverte virulente, il rappelle comment, en novembre 2019, sa mise en cause a servi de monnaie d’échange pour briser les réseaux de son frère, l’ex‑directeur de cabinet présidentiel Brice Laccruche Alihanga. Au cœur de la machination : Noureddin Bongo Valentin, fils aîné de l’ex‑chef de l’État, et sa mère Sylvia Bongo. Selon l’auteur, le duo aurait exigé de faux témoignages, avant de sceller son sort dans une cellule aveugle de six mètres carrés.
Ce document ravive une mémoire que certains tentent aujourd’hui de blanchir : tortures psychologiques, isolement absolu, refus de soins et de visite, le tout reconnu arbitraire par un avis du Groupe de travail de l’ONU dès 2020.
Les persécuteurs d’hier endossent le rôle de justiciables
Ironie de l’histoire : Sylvia Bongo et son fils sont, depuis le coup d’État d’août 2023, inculpés de haute trahison, détournement massif de deniers publics, corruption et faux en écriture. Leur procès, déjà plusieurs fois différé, a de nouveau été renvoyé à novembre 2025 , tandis qu’une partie de la famille a choisi l’exil ou le recours systématique aux juridictions étrangères. Les deux prévenus crient désormais à la « persécution politique » et dénoncent « des conditions de détention inhumaines », alors même qu’ils ont été déplacés de la prison centrale vers un régime d’assignation à résidence au début de mai 2025 .
Un passé trop lourd pour être réécrit
Le rappel est cinglant : ceux qui sollicitent aujourd’hui la clémence de Paris, de Genève ou de l’Union africaine ont bâti un appareil de coercition qui broyait toute contestation intérieure. L’ancienne Première dame et son fils n’étaient pas de simples rouages, mais les chevilles ouvrières d’un dispositif de répression sélective – « un règlement de compte institutionnalisé », selon les mots de la lettre. Le texte cite :
- « Une garde à vue prolongée illégalement, puis quatre ans d’oubli judiciaire. »
- « Une rengaine : “Nono a dit : si tu veux sortir, charge ton frère.” »
- « Privé de lumière, de soins, de tout contact. »
Autant d’éléments qui résonnent avec le témoignage d’autres détenus politiques de l’époque Scorpion et confirment le caractère systémique d’une justice instrumentalisée.
La stratégie du brouillage judiciaire
Depuis leur inculpation, le clan Bongo multiplie recours et contre‑attaques médiatiques : dépôt de plaintes pour « ségrégation judiciaire » en France, vidéos adressées à des organes onusiens, déclarations d’avocats évoquant la « torture » . Objectif : retourner l’opinion internationale et présenter l’actuel pouvoir comme le continuateur de pratiques qu’ils avaient érigées en norme. Or, la chronologie parle d’elle‑même : c’est bien sous leur règne que les premières dérives pointées aujourd’hui ont prospéré, parfois sous leurs propres ordres ou avec leur aval tacite .
Pourquoi cette lettre compte
- Devoir de mémoire : elle documente, de l’intérieur, la mécanique de la peur instaurée par le « système Bongo ».
- Renversement narratif : elle fracture le récit victimaire que veulent imposer Sylvia Bongo et son fils, rappelant que la véritable inversion des rôles est là : les anciens bourreaux réclament justice qu’ils refusaient hier.
- Enjeu judiciaire : à quelques mois de l’ouverture annoncée du procès, ce témoignage apporte des éléments qui pourraient nourrir l’accusation et peser sur la demande persistante d’un procès public et exemplaire.
- Signal politique : il conforte la ligne du président BriceClotaire Oligui Nguema, qui promet de solder l’impunité héritée des décennies Bongo et de « restaurer l’État de droit ».
En guise de conclusion
Les mots de l’ancien édile d’Akanda ne sont ni rancune ni revanche. Ils s’avancent comme un antidote à l’amnésie organisée : « Je veillerai à ce que jamais vous n’ignoriez l’évidence. » Face à la tentation de réécrire l’histoire, cette lettre est un rappel : les Gabonais n’ont pas oublié. L’avenir du pays ne pourra se bâtir qu’avec la vérité et la justice, non avec l’effacement sélectif des responsabilités.
À l’heure où Sylvia Bongo et Noureddin Valentin espèrent déplacer les lignes à coups de communiqués indignés, le témoignage des victimes survit à toute campagne de réhabilitation. Il scelle, noir sur blanc, la mémoire des abus. Et rappelle qu’aucune stratégie médiatique ne peut transformer des oppresseurs en martyrs, tant que demeure la parole de ceux qu’ils ont voulu faire taire.
